Eva Walkner et Katharina Schuler sont parties rider à Gulmarg, dans le Kashmir. Le paradis du freeride : des tonnes de neige, jamais une trace, et une vue imprenable sur l’Himalaya… Le film de leur aventure vient de sortir, entre documentaire et récit de ski trip. 24 minutes de dépaysement total, avec des runs entre les paper trees, non loin des singes, et face au Nanga Parbat. Nous en profitons également pour vous livrer le carnet de voyage d’Eva… Attachez vos ceintures, vous voici en Himalaya… Enjoy !
» Ca a commencé comme ça. Un trajet un peu chaotique avec Bashir, notre chauffeur, qui essayait de nous rassurer avec des « pas de problème, pas de problème» alors qu’on fonçait vers un bus Kashmiri superbement décoré, klaxon bloqué. Voyager dans l’Himalaya est à peu près aussi périlleux à chaque fois, c’est ce que nous allions découvrir. Nous avions décidé début février de nous rendre à Gulmarg, Katharina Schuler et moi, accompagnée de Yves Garneau et Marcel Karp, caméramans et photographes. Gulmarg est sans doute l’une des plus belles destinations freeride au monde, et aussi l’une des plus dépaysantes.
Bashir, notre chauffeur, nous explique que Gulmarg signifie «chemin de roses». Dommage, à cette saison, nous ne pouvons pas profiter du paysage offert par ces fleurs. Ce petit village perché à 2700 m d’altitude est situé au sud ouest de la vallée du Kashmir, à deux heures de route de Srinagar, la ville la plus proche. On y trouve quelques commerces et hôtels, ainsi que le plus haut télécabine du monde, dont les cabines sortent tout droit des années 70, et qui nous monte jusqu’à près de 4000m. Au moment de monter dans la cabine chancelante, pas très rassurées, nous nous sommes rappelées Bashir et son véhicule, et nous avons décidé que finalement, ce télécabine était plutôt safe.
L’autre découverte de nos premières journées à Gulmarg est qu’à 4000m, chaque effort demande énormément d’énergie, et nous sommes très vite essoufflées. Mais ce petit inconfort s’oublie rapidement quand on découvre la vue paradisiaque tout autour de nous, avec le Nanga Parbat juste en face. Je n’avais jamais été en Himalaya auparavant, et d’un coup je prend totalement conscience de l’insignifiance de l’homme face à ces montagnes.
Une fois prêtes, nous entamons notre première descente en direction du village de Tangmarg. 2000m de dénivelé au menu, pendant lesquels on savoure la poudreuse si légère du Kashmir… Pas une trace. Magique… Sur le bas, on ride entre les paper trees, c’est incroyablement bon. Alors que la dernière chute de neige remonte à plusieurs jours, cet itinéraire était encore vierge : le paradis sur terre !
Nous finissons notre run dans un petit village au dessus de Tangmarg, et là, nous découvrons pour la première fois ce qui allait nous serrer le coeur tout au long du séjour : l’incroyable pauvreté qui touche ces gens. Nous croisons des enfants aux habits déchirés et aux chaussures trouées, des femmes pieds nus. Ils vivent dans des cahutes délabrées, sans chauffage ni commodités. Tous sont extrêmement gentils et amicaux avec nous, les enfants nous sourient, jouent avec nous. Nous tirons alors de notre sac un peu de chocolat pour leur en offrir. Certains sont très timides et mangent leur chocolat avec émerveillement, d’autres ont bien compris comme dealer avec les touristes et réclament «Hello, tip, please ! Tip please !»… Deux mondes cohabitent, nous les touristes, dépensont en une nuit d’hôtel ce qu’eux gagnent en un mois…
Ici le dépaysement est total, et nous force à être plus relax : un jour le télécabine ouvre à 9h, le lendemain à 10h. Il faut savoir être patient. Le 2nd jour du trip, seul le premier tronçon est ouvert : il a beaucoup neigé durant la nuit, et avec un risque d’avalanches de 4/5, mieux vaut être prudent en Himalaya. Il faut prendre la vie comme elle vient, donc nous nous contentons ce jour là du premier tronçon du télécabine avec de jolis tree runs.
Quelques jours plus tard, nous faisons par hasard la connaissance d’Arif Khan, un jeune skieur kashmiri, l’un des meilleurs coureurs indiens. Arif participe à des FIS en géant, et son rêve serait d’obtenir un jour une médaille olympique. Mais son pays ne lui apporte aucune aide et Arif est livré à lui même. Malgré qu’il participe à des coupes du monde, Arif n’a pas pu participer aux Championnats du Monde de Garmish l’année dernière. Le sport n’est pas épargné par le conflit entre l’Inde et le Kashmir… En attendant, Arif nous fait découvrir quelques uns de ses secrets spots.
Après une nouvelle journée de pow totalement magique, nous en sommes convaincues : Gulmarg est le paradis des freeriders. L’endroit est sublime et apaisant, et pourtant on croise sans cesse des soldats qui patrouillent dans les rues, près des remontées mécaniques, et même en montagne. Al Qaida serait à priori actif dans cette région… Mais on ne se sent pas en danger pour autant, au contraire.
Un jour, en ridant des runs toujours aussi exceptionnels, nous arrivons dans la vallée, près d’une petite base militaire reculée, entourée de fil barbelé. Quelques soldats armés sont là, avec des chiens miteux, et ils ont l’air de s’ennuyer ferme. Nous sommes au milieu de nulle part, à 10 km de la Ligne de Contrôle, la ligne de démarcation militaire entre l’Inde et le Pakistan, et il ne doit pas y avoir beaucoup d’activité. Au moment où nous repartons, l’un des soldats s’approche de nous. Il a un sourire amical, et nous propose même du thé, alors nous commençons à parler, malgré son anglais quasi inexistant ! Nos skis fats et nos habits colorés semblent beaucoup l’amuser. Notre visite lui permet de se distraire un peu…
Il se met à neiger en fin de journée et lendemain, nous sommes les premiers en haut du domaine ! Difficile de faire un choix, tous les runs semblent magiques ! Mais pas de panique, ici, à Gulmarg, tout est encore vierge plusieurs jours après… Nous profitons à fond de cette neige fraîche… quelle journée ! Hallucinant… Malheureusement Katharina et Yves, notre photographe, se sentent malades tout à coup et décident de rentrer plus tôt. Ils seront cloués au lit 5 jours, alors que nous continuons à explorer les alentours, croisons un léopard, grimpons sur le Mount Apharwat (une marche assez courte mais à 4200 m, c’était un réel défi), et ridons un magnifique couloir à 45°.
Clouée au lit jusqu’au départ, Katharina ne profite même pas du dernier jour, à l’image de notre trip : magnifique, de la pow à foison, et pas une trace à l’horizon… Nous serions bien restés un peu, mais il faut rentrer et dire au revoir à l’un des plus beaux spots du monde. Mais nous reviendrons ! »
– Eva
En savoir plus : http://www.evawalkner.com/pathofroses (Bande son du film, infos supplémentaires)